Modulateurs CFTR et trithérapie: où en est-on ?

La trithérapie a été développée par la firme américaine Vertex Pharmaceuticals. Le nom du médicament  fait référence au trois modulateurs CFTR qui entrent dans sa composition: ivacaftor, tezacaftor et elexacaftor.

La trithérapie : une combinaison de 3 modulateurs

Ivacaftor est un médicament « potentiateur ». Il constitue le principe actif de Kalydeco®, premier modulateur CFTR mis sur le marché et remboursé en Belgique à partir de 2 ans depuis 2016. Il est destiné aux patients hétérozygotes porteurs d’une mutation « gating » de classe III qui représentent moins de 3% des patients belges.

Tezacaftor et elexacaftor sont des médicaments « correcteurs ». Ils ciblent notamment les mutations de classe II, qui entrainent une fonction minimale du canal CFTR. Un exemple de mutation de classe II est la mutation F508del, la plus répandue en Europe. Ces composés sont utilisés en association avec un « potentiateur » afin d’optimiser l’activité des canaux CFTR. C’est le cas des bithérapies Orkambi® et Symkevi® qui combinent les actions d’ivacaftor et d’un « correcteur ». Autorisées en Europe pour un nombre de profils génétiques restreint, elles ne sont malheureusement pas encore remboursées en Belgique.

Avec la trithérapie, Vertex pousse le concept plus loin en associant le « potentiateur » ivacaftor avec 2 « correcteurs ». L’objectif est de maximiser la quantité de canaux CFTR corrigés et d’étendre le nombre de profils génétiques et donc de patients éligibles.

Des essais cliniques très prometteurs – mai 2019

Depuis 2018, le laboratoire Vertex pharmaceuticals a mené plusieurs études cliniques afin de sélectionner une combinaison de 3 modulateurs sur la base de l’efficacité clinique et de la bonne tolérance des patients au traitement. Fin mai 2019, le laboratoire annonçait les résultats obtenus avec des patients de 12 ans et plus, homozygotes pour la mutation F508del et hétérozygotes F508del / mutation avec fonction minimale. C’est la trithérapie ivacaftor / tezacaftor / elexacaftor qui s’est avérée la plus efficace en permettant une nette amélioration des fonctions respiratoires par rapport au placébo et par rapport à la bithérapie ivacaftor / tezacaftor (Symkevi®). D’autres améliorations ont également été constatées, telles qu’une diminution de la valeur du test de la sueur et du nombre d’exacerbations. À noter que les essais cliniques sur les profils génétiques hétérozygotes F508del / mutation avec fonction résiduelle ou mutation « gating » sont toujours en cours.

Une autorisation de mise sur le marché accélérée aux États-Unis – octobre 2019

Suite à ces résultats très encourageants, la triple combinaison sélectionnée a pu bénéficier d’une procédure exceptionnelle d’évaluation accélérée par l’agence du médicament américaine (Food and Drug Administration (FDA)). La trithérapie a ainsi obtenu l’autorisation de mise sur le marché (AMM) américain dès le mois d’octobre 2019 sous le nom de Trikafta®. La FDA a créé la surprise en autorisant le médicament pour tous les profils génétiques hétérozygotes pour F508del – soit environ 90% des patients. Ainsi, la FDA a pris de l’avance sur les essais cliniques encore en cours sur les mutations avec fonction résiduelle compte tenu du fort potentiel de la trithérapie et de sa bonne tolérance. Cette décision signifie que tous les patients de 12 ans et plus présentant au moins une mutation F508del pourront avoir accès à la trithérapie aux États-Unis.

À quand la trithérapie en Europe ?

Dans la foulée, le laboratoire Vertex pharmaceuticals a déposé dès octobre 2019 une demande d’AMM auprès des autorités sanitaires européennes (European Medicines Agency (EMA)).

Si les résultats cliniques et les annonces de ces derniers mois ont suscité beaucoup d’espoir au sein de la communauté muco, il convient encore de rester prudent, et patient ! En effet, d’une part il n’est pas certain que l’EMA suive l’exemple américain. Elle pourrait en effet décider de restreindre l’autorisation du médicament aux profils génétiques déjà testés (F508del / mutation avec fonction minimale). De fait, cela exclurait les patients porteurs de mutations « gating » ou avec fonction résiduelle dans l’attente de résultats cliniques. D’autre part, une fois l’AMM européenne obtenue, le laboratoire entamera des négociations avec chaque pays, afin de fixer le prix et le taux de remboursement du traitement, un processus qui peut s’avérer long et laborieux, comme l’a tristement montré l’exemple d’Orkambi®. Ainsi, il faut persévérer dans la lutte contre la mucoviscidose et l’Association Muco travaille encore activement avec ses partenaires européens à défendre l’intérêt de tous les patients !

Lexique :

  • Médicaments modulateurs du canal CFTR : La protéine CFTR forme un canal à la surface des cellules. Chez les personnes atteintes de mucoviscidose, ce canal est absent ou déficient et les cellules ne peuvent pas fonctionner correctement. Cela entraine de nombreuses conséquences, par exemple l’épaississement du mucus dans les bronches qui rend la respiration difficile. Les « modulateurs CFTR » sont des médicaments qui tentent de réparer le canal CFTR dans l’objectif de restaurer le bon fonctionnement des cellules.
  • Médicament potentiateur : Vise à réparer ou activer les canaux CFTR déficients déjà positionnés à la surface des cellules.
  • Médicament correcteur : Vise à augmenter la quantité de canaux CFTR à la surface des cellules.
  • Mutation gating de classe III: Anomalie du code génétique engendrant la fabrication d’un canal CFTR déficient, mais bien positionné à la surface des cellules. L’une des mutations de classe III les plus courantes est G551D.
  • Fonction minimale du canal CFTR : La fonction ou l’activité du canal CFTR dans la cellule est dite minimale lorsque la quantité de canaux positionnés à la surface de la cellule est très faible, voire proche de zéro. Cela est dû à certaines mutations du code génétique (notamment les mutations de classe I et II) qui engendrent la fabrication de protéines tellement défectueuses qu’elles sont éliminées par cellule elle-même.
  • Fonction résiduelle du canal CFTR : La fonction ou l’activité du canal CFTR dans la cellule est dire résiduelle lorsque le canal est présent à la surface des cellules, mais soit il est seulement partiellement fonctionnel, soit il est présent en quantité insuffisante.
  • Homozygote : Les êtres humains portent tous au sein de leur ADN 2 copies pour chaque gène, chaque copie étant héritée de l’un de leurs parents. On dit d’un patient atteint de mucoviscidose qu’il est homozygote pour le gène CFTR lorsque les 2 copies sont identiques.
  • Hétérozygote : Inversement, on dira d’un patient atteint de mucoviscidose qu’il est hétérozygote pour le gène CFTR si les 2 copies héritées de ses parents sont différentes.