Raphaël : j’ai escaladé le Mont Blanc!

Mont-Blanc : 4809 rêves à réaliser !

Mercredi 6 juillet 2022, 12h30. Me voici au sommet du Mont Blanc. À 24 ans, je suis le plus jeune à y parvenir. Un rêve réalisé pour moi mais aussi un motif d’espoir pour tous les malades. Retour sur cet objectif fou.

Un vieux rêve

Depuis petit, la montagne fait partie de ma vie. J’avais la chance d’y aller très souvent durant les vacances estivales. Très vite, les hauts sommets enneigés sont devenus une sorte de fantasme. À 15 ans, je l’ai dit explicitement lorsque l’on m’a demandé un rêve que je voudrais réaliser : « escalader le Mont-Blanc ». Quelques années auparavant, j’avais réalisé mon premier sommet, mais entre 3396 mètres d’altitude et 4809, on ne parle pas du tout de la même chose. En 2018, alors que je marche seul dans les montagnes, je me pose une question : « Est-ce qu’un muco a déjà fait le Mont-Blanc ? ». De retour à l’appartement, je me lance dans des recherches et vois que la plus jeune personne à l’avoir fait avait 25 ans et expliquait n’avoir eu aucune expérience dans le domaine avant. Je me sens capable de faire mieux. Le rêve devient un vrai objectif, une obsession même. Après des discussions, le projet est fixé à l’été 2020, j’aurais alors 22 ans. Sauf que la crise sanitaire est passée, et a donc repoussé le projet de deux ans.

Le départ, enfin

Cette année, c’est la bonne, normalement. Depuis trois ans, je me prépare, je vais courir pour parfaire ma condition même si cela ne me plaît pas spécialement. Peu importe, pour parvenir à mes fins, je n’ai pas le choix. Physiquement, je suis prêt. Psychologiquement aussi. Mais la montagne ne pardonne pas. Les conditions sont aléatoires et peuvent tout simplement t’empêcher d’avancer. Et l’altitude reste la grande question. Pour faire un grand sommet comme celui-ci, il faut s’y habituer, se mettre en condition. Tout est réfléchi minutieusement. Je pars donc d’abord avec mon père faire un petit tour de trois jours autour de 2500 mètres d’altitude. Une habitude pour nous. Place ensuite à un premier sommet. Mon deuxième seulement, mon premier au-delà des 4000 mètres. Une vraie répétition générale. La concentration est bien présente et tout se passe parfaitement bien.

En pleine ascension du Naso du Lyskamm avec le guide

Nous arrivons au sommet du Naso du Lyskamm (4272 mètres d’altitude). Loin d’être à bout de forces en haut, je me sens au top de ma forme. L’altitude n’a pas du tout été un problème. Dans mon esprit, rien ne peut m’empêcher de parvenir au bout de mes objectifs. Sauf un accident. Et c’est ce qui arrive. Dans la dernière descente le lendemain, je me tords la cheville en enlevant mes crampons. Une blessure bénigne qui aurait pu tout gâcher. Si je n’ai pas vraiment mal sur le moment, la situation empire. Je cache ma douleur, je ne dis même pas à mon père quand je vais à la pharmacie pour acheter de la pommade. Et puis, je ne sais plus marcher. Je boite si fort que tout me semble impossible, je me vois déjà dans la voiture de retour vers Bruxelles le lendemain. Mentalement, c’est très compliqué à digérer. Oui, mais le corps a ses raisons que la médecine ignore. Le lendemain, c’est comme s’il ne s’était rien passé. Le départ est maintenu, plus rien ne peut m’atteindre. Première escale au refuge de Tête Rousse (3167 m).

Au sommet du Naso du Lyskamm

Le premier jour du reste de ma vie

Nous y voilà enfin. Aux aurores, nous partons donc d’abord vers le refuge du Goûter (3835 m). Là, nous déposons un maximum d’affaires qui ne nous serons pas utiles pour l’ascension. Grand seigneur, mon père reste au refuge. Pas assez en condition, il a peur de devoir nous faire abandonner en pleine ascension. Car oui, en montagne, si un membre de la cordée abandonne, tout le monde doit rebrousser chemin. Pour lui, l’important est que j’arrive au sommet, qu’il y arrive également n’est que secondaire. Très concentré, je pars donc à l’assaut du sommet avec le guide, rencontré seulement quelques jours auparavant. Les conditions météo sont optimales, la condition physique au top, tout est réuni pour faire de grandes choses. L’ascension démarre. Si la première pause fait du bien pour recharger un peu les batteries, rien ne semble pouvoir m’empêcher d’aller au sommet.

Durant l’ascension, l’échec n’est d’ailleurs pas une possibilité pour moi, il est même inenvisageable. Les heures passent, le sommet approche. On le voit même assez rapidement, le rêve se matérialise mais il faut rester le plus concentré possible. Je chasse toutes pensées qui pourraient me déstabiliser. L’important ? Continuer à avancer. Après plus de quatre heures d’ascension, c’est la délivrance. Nous voici sur le toit de l’Europe. Les premières minutes, la joie est contenue, je ne réalise pas encore vraiment. Puis, l’émotion prend le dessus. Tant de travail, tant de pression, tant d’acharnement pour y parvenir et c’est finalement arrivé. Des mots ne pourraient pas décrire tout ce qui me traverse la tête, même mes souvenirs ne le peuvent pas. Un sentiment de fierté et d’accomplissement que je n’ai jamais connu comme cela.

Retour au refuge après l’ascension

Un succès pour tous les malades

Durant tous ces moments, que ce soit pendant la préparation ou l’ascension, mes pensées allaient bien évidemment à mes proches qui m’ont beaucoup soutenu dans ce projet un peu dingue. Mais également à tous les malades. C’est pour ça que Pep’s est resté dans mon sac et a pris la pose avec moi. Quand on a la mucoviscidose, on reste seul avec nos problèmes, nos doutes, nos angoisses. Bien sûr, des gens sont là pour nous soutenir et font du mieux possible mais ils ne peuvent pas comprendre totalement ce qui nous traverse à l’esprit. Quand j’avais neuf ans, à la mort de Grégory Lemarchal, un gamin de mon école m’avait demandé si j’allais mourir aussi jeune. Il avait 24 ans. Au même âge, j’ai escaladé le Mont Blanc. La vie est injuste, la maladie peut l’être encore plus. Malheureusement, certains malades ne peuvent même pas se permettre d’espérer réaliser cela mais mon projet avait aussi un but : montrer que de grandes choses sont tout de même possibles malgré la muco. Avoir appris que des gens avaient réussi m’avait donné la force de me battre pour. Désormais, j’espère surtout que tous les mucos continueront à avoir des rêves, des espoirs, des objectifs. Il faut vivre, et pas se contenter de survivre. Bien sûr, je ne suis pas là pour prétendre que tout est possible et que la mucoviscidose n’est qu’un détail. Malgré cela, je reste convaincu que chacun, à son échelle, peut réaliser de belles choses et n’est pas condamné à laisser le rêve aux personnes qui ne sont pas malades.

Une victoire collective

Avant de conclure, j’aimerais évidemment remercier beaucoup de gens. Mon père, en premier, qui a fait tant de choses pour que j’y parvienne en me soutenant toutes ces années, et qui n’a pas hésité à se mettre en retrait pour que j’accomplisse mon rêve. Ma copine, ensuite, qui a toujours su trouver les bons mots pour m’encourager et accroître ma détermination et ma motivation. Je dois aussi remercier mon kiné de toujours et l’équipe médicale de l’UZ Brussel qui m’ont permis d’être en condition pour réaliser le Mont Blanc. Pensées également à tous mes proches qui m’ont poussé dans ce projet, au guide qui m’a amené là-haut et au Fonds muco qui m’a permis de soulager le budget très important de l’expédition.

La maladie est en moi, en beaucoup de gens qui se posent tant de questions sur l’avenir. Malgré les récentes bonnes nouvelles, je ne fais pas partie des prédicateurs de bonnes paroles mais je reste convaincu que tant de choses sont faisables. Il faut choisir : subir ou essayer, tant que possible, de prendre sa vie en main. Pour aller de l’avant, seul le rêve nous permet de voir plus loin. Alors, n’arrêtons pas de rêver.